Le besoin de comprendre pour apprendre

« Comprendre… Vous n’avez que ce mot-là dans la bouche, tous, depuis que je suis toute petite. Il fallait comprendre qu’on ne peut pas toucher à l’eau, à la belle et fuyante eau froide parce que cela mouille les dalles, à la terre parce que cela tache les robes. Il fallait comprendre qu’on ne doit pas manger tout à la fois, donner tout ce qu’on a dans ses poches au mendiant qu’on rencontre, courir, courir dans le vent jusqu’à ce qu’on tombe par terre et boire quand on a chaud et se baigner quand il est trop tôt ou trop tard, mais pas juste quand on en a envie ! Comprendre. Toujours comprendre. Moi, je ne veux pas comprendre, » hurle Antigone.

Pourtant il semble que le besoin de comprendre est inhérent à la nature humaine.

« La satisfaction des pulsions cognitives est subjectivement satisfaisante et productrice d’expériences et de finalités. La connaissance est en général une composante émotionnelle, éclatante, heureuse dans la vie de l’individu, peut-être même un aspect noble de l’existence. Les obstacles que l’on surmonte pour elle, l’insistance et éternelle pression qu’elle exerce, l’obligation de la satisfaire comme condition préalable au développement complet des potentialités humaines, son apparition spontanée à l’aube de notre existence individuelle, tout cela témoigne d’un besoin cognitif fondamental», explique A. Maslow.

Et ce besoin de comprendre est même organisé comme les besoins fondamentaux.

Une hiérarchie des besoins de compréhension

En effet, « quand nous savons, nous sommes poussés, d’un côté, à connaître avec toujours plus de précisions et de manière toujours plus approfondie et, de l’autre, à étendre toujours plus notre savoir vers une philosophie, une religion du monde… Ce processus a pu être qualifié par certains de quête de sens. Nous pouvons alors postuler l’existence d’un désir de comprendre, de systématiser, d’organiser, d’analyser, de chercher des relations entre les choses et du sens, de construire un système de valeurs. Le désir de connaître et de comprendre sont eux-mêmes conatifs en ce sens qu’ils ont un caractère impératif, et sont autant des besoins de la personnalité que des besoins fondamentaux. Une fois ces désirs admis au débat, nous constatons qu’eux aussi s’organisent en une hiérarchie dans laquelle le désir de connaître précède, prédomine, le désir de comprendre. Les besoins conatifs et les besoins cognitifs se recoupent si étroitement qu’il s’avère impossible de les distinguer. Le besoin de l’ordre, de symétrie, de limitation, de mener un acte à son terme, de système de structure peut indifféremment être assimilé à un besoin cognitif, conatif ou esthétique, » explique A. Maslow.

Comprendre peut ainsi être motivé par les besoins successifs de connaître, d’analyser, de modéliser puis enfin d’organiser en un système de valeurs ou de sens. Ce que font d’ailleurs les scientifiques. Ils observent, nomment, analysent, modélisent, énoncent concepts ou règles qui peuvent avoir un certain esthétisme, celui d’une globalité qui a un sens.

Une hiérarchie de prépondérance

Or « une caractéristique de l’organisme humain lorsqu’il est dominé par un besoin donné est que toute la philosophie de l’avenir de l’individu tend aussi à être modifié. Pour notre homme chroniquement affamé, l’Utopie se définit très simplement comme un lieu regorgeant de nourriture. Il tend à penser que, pourvu qu’il ait l’assurance de manger à sa faim toute sa vie, il sera parfaitement heureux et ne voudra jamais rien d’autre. La vie elle-même ne se définit plus qu’à travers ce but unique. Et lorsque ces besoins physiologiques sont à leur tour satisfaits, d’autres besoins nouveaux émergent et ainsi de suite. C’est ce que nous désignons lorsque nous disons que les besoins humains fondamentaux sont organisés en une hiérarchie de prépondérance. Une des implications importantes est que la satisfaction devient un concept important puisqu’elle libère l’organisme de la domination d’un besoin, permettant par là même l’émergence d’autres buts plus sociaux. Lorsqu’ils sont chroniquement satisfaits, les besoins physiologiques et leurs buts partiels cessent d’exister. Ils n’existent plus que comme potentialités, en ce sens qu’ils peuvent se manifester à nouveau pour dominer l’organisme s’ils sont contrariés. Mais un désir qui est satisfait n’est plus un désir. L’organisme n’est dominé que par les besoins insatisfaits. Si les besoins physiologiques sont relativement satisfaits, alors émerge un nouvel ensemble de besoin, que l’on peut sommairement regrouper sous la catégorie des besoins de sécurité (sécurité, stabilité, dépendance, protection, libération de la peur, de l’anxiété et du chaos, besoin d’une structure, de l’ordre, de la loi et des limites, sentiment de force parce qu’on a un défenseur…). Ils deviennent les organisateurs exclusifs du comportement, recrutant à leur service toutes les capacités de l’organisme, qui s’apparente alors à un mécanisme de recherche de sécurité. La tendance à avoir une religion ou une philosophie du monde est aussi en partie motivée par cette quête de sécurité» , précise A. Maslow dans son livre Devenir le meilleur de soi-même.

La satisfaction des besoins physiologiques et de sécurité ouvre une demande de besoins d’amour, d’affection et d’appartenance, puis des besoins d’estime de soi. Mais « même si tous ces besoins sont satisfaits, nous pouvons néanmoins nous attendre souvent à ce qu’un nouveau mécontentement et une nouvelle impatience se développent bientôt. Un musicien doit faire de la musique, un artiste doit peindre, s’il veut trouver son bonheur. Un homme doit être ce qu’il peut être. Il doit être vrai avec sa propre nature. Ce besoin nous lui donnons le nom d’accomplissement de soi » , ajoute-t-il.

Besoins et formation

L’espace-temps ouvert en formation peut alors être considéré comme une double réponse aux besoins fondamentaux et aux besoins de compréhension. Aux formateurs de veiller à la satisfaction aux besoins premiers d’équilibre, de sécurité, de connaissance pour accompagner progressivement le besoin de reconnaissance, d’estime, de sens.